NOTRE
MAISON
Notre maison en pierre, presque carrée, surplombe la
fontaine. Elle fut construite très probablement en commun par la famille Delpeyrou et Guigne. La deuxième génération Delpeyrou racheta la part des Guigne et devint propriétaire
de l’ensemble. Il y a eu au fil des années bien des aménagements. Elle était divisé en quatre pièces à peu près égales, avec la porte
d’entrée au sud. Un escalier de bois assez vermoulu occupait une partie d’une
chambre et permettait d’accéder au grenier.
Dans la cuisine, c’est autour d’une grande cheminée que la vie de
famille se poursuivait. Les repas se préparaient dans des ustensiles en fontes,
des marmites, des tourtières et des poêles. La cuisson des pommes de terre pour
les cochons avait lieu le soir à la veillée et les grosses bûches de chêne dans
le feu réchauffaient tout le monde. Ce n’est que vers 1950 qu’une cuisinière
d’occasion vint apporter quelques commodités. Le four et l’eau chaude à la
bouilloire était une merveille. L’évier était en
pierre avec un petit carreau juste au-dessus. Sur le côté se trouvait
l’arrosoir avec l’eau rapportée de la source pour boire et faire la cuisine.
Les planchers étaient faits de planches irrégulières et assez vermoulues, les
murs blanchis à la chaux chaque année, car très enfumés, par les soins de mon
père. La table de la cuisine était rectangulaire, avec le tiroir pour le pain
et les gros couteaux, et recouverte d’une toile cirée à carreaux. A l’entrée,
un récipient en émail avec un robinet et une cuvette que l’on appelait
« fontaine » servait à se laver les mains. Des torchons en grosses
toiles avaient chacun leur fonction. Au plafond, on suspendait une barre où
prenaient place saucisses et boudins pour sécher et être sous la main. Les
jambons étaient au grenier dans des récipients ,
d’abord recouverts de sel et cousus serrés dans un linge. Placés ensuite sous
la cendre, ils se conservaient très bien.
Au coin du feu se trouvait le coffre en bois que
l’on appelait la salière car elle gardait au sec le gros sel employé pour la
cuisine. Les chaises paillées, un buffet contenant la
vaisselle et quelques étagères constituaient l’ameublement.
Dans nos chambres, il n’y avait que des lits de coin
assez étroit. Ils étaient composés d’une paillasse en feuille de maïs, d’une
couette en plume d’oie ainsi que d’un traversin. Les draps étaient faits d’une
grosse toile, le couvre-pied de laine de mouton en nappes et piqué de deux
couleurs, l’édredon en duvet d’oie avec une enveloppe à fleur ainsi que les
oreillers. Plus tard, les sommiers à ressort et les matelas de laine bien
moelleux furent plus confortable. On chauffait le lit
avec le « moine », c’est à dire une casserole de braises recouvertes
de cendres et placée dans un cadre en bois approprié, évitant le contact avec
la literie. C’était agréable mais quelques fois un peu brûlant ! !
Pour la toilette, pas de chichi ! Un ensemble cuvette et broc en faïence
sur une petite table, serviettes nid d’abeilles et savon de Marseille, un
peigne râteau et un petit miroir complétaient l’ensemble.
Deux hautes armoires, appelées lingères, abritaient
l’une les vêtements de la famille, l’autre le linge de maison. Elles étaient en
noyer et ma mère les entretenait jalousement. Quelques buffets contenant la
vaisselle des jours de fêtes, des chaises cannées et d’autres paillées
complétaient l’ameublement.
Le grenier était d’une grande utilité. Il recevait
d’un côté la récolte de blé et de l’autre celle de maïs. Tout ceci était monté
à l’échelle du grenier, le sac sur le dos, et redescendu de même pour la
consommation. Aux poutres, on suspendait les paquets d’ail et d’oignon récoltés
et encore bien d’autres produits.
La cave était réservée aux barriques de vin
entretenues par mon père jusqu'à la vente. La cave en voûte au sous sol
abritait aussi la consommation journalière et les bouteilles en vieillissement.
Mon père aimait avoir son vin vieux de chaque année et aussi confectionner le
vin blanc doux et fruité ainsi que le ratafia avec les liqueurs que préparait
ma mère : eau de noix, pruneaux à l’eau de vie ... Il n’y avait pas
d’achat puisque l’eau de vie était extraite du marc de notre récolte. Le
distillateur, Monsieur Lafarguette installait son
alambic près de l’église où il y avait un point d’eau. Il distillait pour tous
les vignerons du village : 20 litres
« à ne pas dépasser » , puis
une quantité à fournir à l’état suivant la déclaration de récolte. Il y avait
plusieurs employés qu’il fallait nourrir en portant le repas sur place. Ils
restaient presque un mois pendant l’hiver, le village était tout animé du
va-et-vient des tombereaux, emmenant le marc et parfumé de l’odeur forte de
l’alcool.