Vie quotidienne

La basse-cour

 

 

Avec le maïs, on alimentait la basse-cour. Il servait au gavage des oies et des canards ainsi qu’à l’alimentation des volailles et des cochons pour la consommation familiale. Au moment de l’abattage des animaux, on invitait les voisines et la famille. Il fallait plumer les canards une fois ébouillantés alors que les oies étaient plumées à sec, la plume et le duvet soigneusement réservés pour la literie. Au lendemain de l’abattage, il fallait décarcasser, découper les quartiers et mettre au sel mais surtout prélever les foies. Quelle joie lorsque apparaissait un foie souvent pesant le kilo. Le bocal actuel n’existait pas. Il n’y avait que des boîtes métalliques qu’il fallait faire sertir par un artisan possédant la machine et qu’il fallait ensuite cuire au stérilisateur comme maintenant ; les foies étaient mis en boîte avec de la truffe qui leur donnait un parfum incomparable. A cette époque, la truffe abondait dans le pays et dans la cuisine. Les quartiers étaient cuits dans la graisse dans le grand chaudron de cuivre, sur le feu et plus tard sur le gaz. Pour cette cuisine, ma mère mettait un tablier blanc et surveillait la cuisson. Aussitôt retirés de la graisse, les quartiers étaient rangés dans les pots en grès (les « toupines ») et recouverts de graisse fine. Une fois refroidi, ils étaient coiffés de papiers blancs et rangés à la cave, plus tempéré pour la conservation. Du chaudron, on retirait encore les fritons et les carcasses. C’était un régal de les goûter tout chaud comme ça l’est encore à ce jour.

 

La cuisine du cochon

 

Elle se faisait au cours de l’hiver. Il fallait faire appel au tueur, c’est à dire l’homme qui allait de ferme en ferme pour saigner et dépecer les cochons. Cela nécessitait deux interventions : le matin, de bonne heure, c’était la mise à mort. Il fallait à  hommes solides pour coucher le cochon sur la mée. Le tueur le saignait et je prenais le sang  dans une bassine sans cesser de le remuer pour confectionner le boudin. Le cochon roulé dans la mée était ébouillanté et raclé vivement par les hommes pour le débarrasser de ses poils. Aussitôt propre, il était placé et attaché sur l’échelle dressée, suspendu par les pattes arrières. Là, on affinait sa toilette puis on l’ouvrait pour retirer les entrailles réservées à la confection des boudins ; le nettoyage des boyaux était long.

 

Le soir, le tueur revenait, il découpait toute la viande en morceaux divers : d’abord les deux jambons puis les deux épaules, ensuite les filets, la viande à saucisse et celle pour les pâtés, les os en petit salé ... Ma mère, aidée de ma tante, confectionnait le boudin et le faisait cuire lentement à petit feu. Le lendemain, elles faisaient la saucisse que l’on pliait en anneaux réguliers à la barre dans la cuisine ainsi que tout le reste de la cuisine du cochon. Il fallait bien compter trois jours pour en venir à bout car un cochon de  150 kilos en moyenne donnait beaucoup de viande. Ainsi se constituaient les réserves familiales. Poulets et lapins venaient s’ajouter, les poules produisaient des œufs et en cas de réforme faisaient d’excellentes poules au pot bien farcies ! 

 

La chasse

 

Dès l’automne, c’était l’ouverture de la chasse. Il y a toujours eu des chasseurs dans la famille pour goûter de bons civets. Les lièvres étaient plus abondants qu’aujourd’hui. Ma mère savait bien les préparer et j’essaie de continuer la recette. La période hivernale donnait lieu à de nombreuses parties de chasse. Mon grand-père, grand braconnier, mon père expert à découvrir le lièvre au gîte, mon mari et nos enfants ont été des chasseurs assidus. Il y avait aussi les parties de furetage car les lapins proliféraient. Les chasseurs supportaient sans bouger le froid glacial pour tirer les lapins traqués par le furet à la sortie du clapier.

Mais le soir, autour d’un bon souper et du vin nouveau, les exploits de la journée étaient vivement discutés ; ensuite, la partie de carte complétait la soirée. 

 

La truffe

 

Avec l’hiver venait la saison de la truffe. Mon grand-père truffait avec une truie adulte, mon père avec un porcelet qu’il fallait dresser pour cela. Il cachait dans la terre des morceaux de truffe, faisait passer plusieurs fois le porcelet à cet endroit jusqu'à ce qu’il en trouve et là, les lui laissait manger. C’était un travail de patience. Lorsqu’il y avait pris goût, il la cherchait de lui même. Alors, plus question de la lui laisser manger ; lorsqu’il l’avait découverte, il fallait habilement le retenir pour avoir la truffe avant lui, l’empêcher de la dévorer et le récompenser de quelques gourmandises. En effet, un cochon est parfois capricieux mais c’est un travail passionnant. Truffer avec un chien est bien plus simple. Il gratte à l’endroit où il a senti la truffe, à soi de la découvrir et de le récompenser. Mais s’il boude et ne veut pas travailler, on ne rapporte rien. Il y a environ une trentaine d’années, la vente de la truffe participait largement au bien-être des agriculteurs. Les marchés avaient lieu à Sauzet et étaient très renommés. Les marchands expéditeurs y venaient de loin. Puis une coopérative se créa, elle payait bien et embauchait du personnel. Mais hélas la gestion ne fut pas bien conduite et ce fut la faillite avec pertes et fracas ! De plus après la forte gelée de 1956, jamais vu dans notre région, la truffe diminua d’années en années et à ce jour, on n’en trouve plus que vers Lalbenque et il en vient de l’étranger. A l’époque florissante des marchés aux truffes, Sauzet avait quatre restaurants, deux cafés, deux boucheries, deux épiceries, une mercerie, une modiste, un forgeron, un coiffeur, la halle avec le commerce des graines et tous les étalages divers dans la rue. Il est bien loin ce temps là !

 


 

Le bois

 

Au cours de l’hiver, il fallait couper le bois de chauffage pour l’hiver suivant. On abattait d’abord les gros chênes au « passe-partout », longue scie pourvue d’un manche à chaque extrémité que l’on tire à deux personnes par un mouvement régulier de va et vient. La scie pénètre dans le bois et lorsque l’arbre commence à bouger, il faut pressentir où il va se coucher. En le poussant fort, il s’abat  avec fracas. Ensuite, il faut le débiter par tronçon d’un mètre environ puis en faire des tas prêts à charger. Le branchage est aussi débité pour en faire des fagots. Ceux-ci, attachés avec une liane souple, servent pour allumer et accélérer le feu. Le bois reste en tas jusqu'à l’été suivant où, bien sec, il assurera le chauffage. Ainsi s’écoulait l’hiver et nous arrivions peu à peu au printemps.

 

La lessive

 

Quand les jours se faisaient assez chauds, on procédait à la grande lessive annuelle. Pour cela, mon père installait le « cuvier » au coin de la cour. Le cuvier était un récipient rond en bois blanc, à large embouchure, de un mètre de haut environ et muni d’un trou d’écoulement. Ma mère mettait le linge à tremper, c’est à dire une bonne vingtaine de gros draps, du linge de maison et les chemises d’hommes en toile blanche. Le lendemain, on effectuait un savonnage vigoureux et on replaçait le linge dans le cuvier. D’autre part, ma mère préparait le « lessif », c’est à dire une chaudière d’eau bouillante dans laquelle elle versait un grand seau de cendres et des cristaux de soude. Après repos, elle arrosait le linge avec ce lessif très chaud. Elle effectuait patiemment cette opération toute la journée. Le lendemain, le linge égoutté et placé dans des corbeilles d’osier blanc était conduit avec le charreton et le cheval à la rivière, la Séoune. Mon père faisait un barrage en travers du ruisseau avec des pierres et une grosse planche devant. On s’agenouillait sur des sacs remplis de paille et, à deux, on déployait les draps dans le courant et on les tapait sur la planche. Cela demandait l’après-midi et souvent, un petit goûter était le bienvenu. Le lendemain, les draps étaient étalés sur la prairie et retournés pour un bon séchage puis, enfin, soigneusement pliés avant d’être rangés dans l’armoire pour une autre année. Plus tard, la lessiveuse a permis de laver plus souvent et plus rapidement et utilisait en bouillant le même principe d’arrosage. Mais lorsque apparue la machine à laver qui vint s’installer dans la maison vers 1955, ce fut un soulagement considérable bien qu’elle fut moins perfectionnée qu’aujourd’hui.


 

 

Les déplacements

 

Dans ma toute jeunesse, ils étaient très simples, à pied le plus souvent pour mes aïeuls. Mon grand-père, marchand de moutons, n’hésitait pas à aller les acheter à Lalbenque ou Caussade et, dans la semaine, les revendre à Saint-Sylvestre ou Villeneuve sur Lot en faisant marcher le troupeau. Mes parents, mieux nantis, avaient un cheval et sa voiture, ou plutôt charreton. Nous allions ainsi aux foires de Montcuq et de Sauzet, mais je n’étais pas toujours du voyage. Ma mère se déplaçait souvent ainsi pour les marchés et les commissions. Le vélo fut le principal véhicule de ma jeunesse mais il me fallut le gagner en vendangeant à 1 franc le panier. C’est mon oncle, André Dellard, qui me l’acheta à Prayssac. Lorsque je l’ai vu, j’en ai pleuré de joie et le soir je l’ai pris dans ma chambre ! Pendant la guerre, ma mère fit aussi du vélo mais mon père n’apprit jamais. Les voitures automobiles étaient le privilège des plus riches et de ceux assez persévérants pour affronter le permis de conduire. Ici, il y en avait seulement deux pour le village. Les attelages à cheval étaient les plus nombreux. Lorsque la guerre, l’essence manqua très vite. On fit alors des coupes de bois que l’on faisait brûler en gros tas. Ce charbon alimentait un système d’énergie appelé gazogène qui faisait fonctionner les voitures indispensables et quelques autobus.