La guerre

 

Elle fut déclarée en septembre 1939. Tous les hommes jeunes et valides furent mobilisés. Ne restaient que les trop âgés et les femmes, qui bravement firent le travail des hommes. Il fallut faire aussitôt les vendanges, abondantes cette année là, par un temps très froid. L’hiver fut rude. La guerre était au point mort du côté des armées mais ici, c’était la réquisition régulière de chevaux et de bétail qu’il fallait fournir. Lorsque les beaux jours revinrent, les batailles firent rage et en peu de temps, il y eut un grand nombre de prisonniers et de morts. Notre famille fut endeuillée dès le mois de mai par la mort de mon oncle Robert Dellard, le jeune frère de ma mère qui avait 22 ans. Mon cousin Raymond Delpech fut fait prisonnier et ne revint que cinq ans après. Mes autres oncles ou cousins participèrent aux horreurs du front mais rentrèrent chez eux sans blessures. Après l’armistice, la guerre prit une autre forme qui dura cinq ans : l’occupation allemande s’étendit dans toute la France et semait partout la terreur. C’était la déportation, les camps de concentration et tant d’horreurs pénibles à évoquer. Puis ce fut la résistance et ses dangers, jusqu’au jour où enfin les Américains et les Anglais vinrent nous délivrer au prix d’énormes pertes. Petit à petit, les prisonniers revinrent, la vie reprit mais plus rien ne fut comme avant et les mémoires sont encore bien remplies de cette triste période. Malgré cela, la jeunesse ne perd pas ses droits : le dimanche, on se rejoignait entre jeunes des villages voisins, on dansait sur la route quand l’un de nous chantait et que d’autres surveillaient d’éventuels passants. En effet, toute réjouissance était sévèrement défendue. Quelques bals clandestins, où l’on se rendait toujours à pied, étaient organisés avec beaucoup de précautions (peu d’éclairage). C’est ainsi que je fis la connaissance, par une soirée de neige, de Jean Ruamps (encore mobilisé au service militaire qu’il effectuait à Barèges dans les Pyrénées). Il voulut me voir durant un été et cela finit par un mariage le 19 septembre 1943. C’était la guerre avec ses tickets de rationnements. Pour faire le repas de noces auquel étaient invités la famille et quelques jeunes, il fallut abattre un veau et rallumer le four à pain. Un cuisinier s’était chargé du repas. Enfin, avec pas mal d’astuces et le concours des anciens, rien ne nous manqua, pas même une petite musique pour danser dans la cour. Pas de voyage de noces, bien sûr mais les vendanges le lendemain. Hélas, notre lune de miel ne dura pas longtemps, Jean fut appelé pour le travail obligatoire en Allemagne. Je revois encore le gendarme dans la cour avec son vieux vélo, son air gêné et son papier de réquisition à la main.

Le soir même, Jean prit un petit balluchon et son vélo et partit se cacher chez des amis. Commença alors une vie d’angoisse. Nous ne pouvions plus nous voir ou communiquer qu’exceptionnellement la nuit accompagné de son frère et avec précaution.

Il avait une fausse carte d’identité qu’il fallait faire renouveler souvent et changer de cachette. Il était un « réfractaire » et s’il était découvert c’était le camp de concentration. Cela dura une dizaine de mois. Il fut rendu à la vie normale par les transactions d’un agent de liaison qui, hélas, ses activités découvertes, fut tué froidement par les Allemands quelques temps après. C’est l’époque la plus douloureuse de ma vie et je n’aime pas l’évoquer.

Quelques temps après, un heureux événement s’annonça et notre première fille Johannie nous arriva le 2 décembre 1944. Pour sa naissance, le docteur vint de Montcuq avec son gazogène et reparti au matin avec mon vélo. En 1947, ce fut l’arrivée de Nadine qui naquit le 19 juillet au cours d’un été torride à Montcuq chez la sage-femme, Madame Boudou. Le 29 septembre 1949, Christian, notre premier garçon, fit la joie de son père et de son grand-père qui espérait un vigneron ! Sa venue au monde faillit me prendre la vie ; lui même était un bébé prématuré et fragile (aucune trace aujourd’hui !). Avec ma santé chancelante, je repris mon travail bien chargé de mère. Heureusement, ma mère me secondait beaucoup, mais, oh, surprise, un nouvel enfant s’annonçait et Francis arriva à son tour le 6 octobre 1950. Ainsi à 25 ans, j’étais nanti de 4 marmots ...

Avec les 4 enfants, mes parents, ma sœur et mon grand-père, nous étions dix dans la maison. Nous eûmes toutes les maladies d’enfance : rougeole, coqueluche, convulsions et même la diphtérie qui faillit emporter Christian. Puis vint l’âge de l’école à Bovila, les 3 kilomètres à pied avec livres, goûters et gamelles à réchauffer comme ce fut le cas pour moi. Plus tard, une cantine et les vélos furent les bienvenus. L’instruction religieuse allait de pair avec l’école, catéchisme le jeudi et messe le dimanche, toujours à Bovila. Les enfants reçurent les sacrements traditionnels. Ensuite, chacun prit un chemin d’étude différent et ils furent attirés de bonne heure par le mariage, mais cela aussi est traditionnel dans notre famille.

Je reviens ici quelques années en arrière pour dire que ma sœur Josette vit le jour dans cette même maison le 2 mai 1934. Nous avions 9 ans de différence. Vers 6 ans mes parents la mirent en pension chez les religieuses à Sauzet jusqu’au certificat d’étude. A son retour à la maison : j’étais sur le point de me marier. Puis, à son tour, elle fit la connaissance d’Yves Froment. Leur mariage eut lieu le 19 septembre 1953, 10 ans jour pour jour après nous. Elle entra dans la maison de son mari, avec son père et sa mère au lieu dit « Lomède » à Floressas.

Nos aïeuls et nos parents décédés, nos enfants mariés et partis, nous restons Jean et moi seuls dans cette maison qui a vu naître tant de monde.

Ici s’achèvent mes souvenirs de jeunesse, mais je vais à présent essayer de retracer dans ces pages l’origine de la famille Delpeyrou, première lignée en cette maison, et les diverses parentés qui se sont succédées. Je n’ai fait aucune recherche approfondie. Je me base seulement sur des dates ou origines mentionnées dans les archives de la maison et se rapportant principalement à Delpeyrou et Dellard, mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents.